Le mot de l’abbesse (Jiko Simone Wolf a publié cet article dans « Sangha » en tant qu’abbesse du temple zen de la Gendronnière en 2018

Le mot de l’abbesse (Jiko Simone Wolf a publié cet article dans « Sangha » en tant qu’abbesse du temple zen de la Gendronnière en 2018

La cuillère a-t-elle le goût de la soupe ?

Un sot peut vivre toute sa vie auprès d’un maître et, quand bien même, manquer la Voie (stance du Dhamapada).

Si le temple zen de la Gendronnière est véritablement ce lieu d’accueil de grandes manifestations, comme il l’a une fois de plus démontré lors du 50ème anniversaire du zen en Europe, il est tout aussi vrai qu’il s’y crée et s’y recrée au quotidien une vie monastique, dans la force et le courage de ceux qui y consacrent l’énergie de  leur aspiration, que ce soit durant un mois, trois mois, voire une année. Peu importe… Le temps n’est ni à chercher,  ni à retrouver. C’est toujours ici et maintenant qu’ensemble nous pratiquons.

Bouddha a dit, en voyant l’étoile du matin : « je me suis éveillé avec toutes les existences ».

C’est dans cette même posture, expérimentée par Shakyamuni, que nous nous mettons en unité avec toutes les existences, avec le monde, continuant ainsi son éveil, et c’est dans ce silence où chacun est directement en contact avec la véritable paix et liberté de l’esprit, interconnecté, que nous suivons l’ordre cosmique.

Chaque jour, nous pratiquons. Passant et repassant la poutre, entrant et sortant, répétant sans cesse ce mouvement… Mais, très souvent, dès la sortie du dojo, nous nous retrouvons confrontés non plus au monde, mais à notre propre monde, celui de nos avidités, de nos colères et de notre ignorance. Et les problèmes apparaissent…

Tomber et se relever, persévérer, se corriger est un effort quotidien. C’est la joie de notre pratique qui nous permet d’approfondir, de continuer à vivre, faisant vivre ainsi cette vie monastique. C’est bien par l’autre,  par toutes  les existences, que passe l’éveil. Cette intensité de la pratique doit permettre à chacun de trouver et de développer son véritable pouvoir, sa véritable potentialité.

Shakyamuni avait un disciple appelé Sulapanthaka, critiqué, rejeté, moqué, méprisé par les autres, qui, tous, le laissaient ou le reléguaient dans une position d’incompétence. Désespéré, ayant fini par se mésestimer, Sulapanthaka demanda au Bouddha Shakyamuni comment il pouvait réaliser l’éveil dans son quotidien. Shakyamuni lui dit alors : « il est peut-être difficile pour toi d’apprendre, mais ce n’est pas le seul moyen. Tu peux nettoyer, tu peux prendre un balai et nettoyer les abords du temple ». Mettant de côté ses résistances, Sulapanthaka suivit exactement les conseils de son maître. Jour après jour, il prit un balai en fredonnant « Nettoyer, nettoyer, nettoyer » Comme on fredonne silencieusement « Bouddha, Dharma, Sangha » en cousant le kesa. Au bout d’un certain temps, les abords du monastère devinrent splendides, plus accueillants qu’ils ne l’avaient jamais été et, s’il n’était pas un homme brillant d’intelligence, Sulapanthaka réalisa l’éveil et put communiquer sa joie d’homme simple et sage, désormais  « balayé » par le respect de tous, comme le vent dans les feuilles.

Les changements véritables ne sont jamais spectaculaires. Ils nous imprègnent comme la rosée et la brume imprègnent nos vêtements. Comprenant que nos actes et nos pensées ont des répercussions sur les autres, actes, paroles et pensées se simplifient. Progressivement, les tumultes émotionnels et les violences verbales diminuent. Suivant les mots de l’enseignement, trouvant notre voie, savourant notre soupe… La cuillère ne restera pas indifférente.